Mise au point sur l'Etat de droit (Frontpopulaire,fr, 3 mai 2022)

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A lire sur Frontpopulaire.fr:Mise au point sur l'Etat de droit, première partieMise au point sur l'Etat de droit, deuxième partie

Résumé :

Après avoir balayé une série d'idées reçues dans une publication précédente, cet article pose la question essentielle : la France est-elle encore un Etat de droit?

Elle en possède les signes extérieurs (une Constitution, un Conseil Constitutionnel, des organes exécutif, législatif et judiciaire distincts. Dans la réalité, de multiples atteintes lui sont portées : non respect du principe de légalité, insécurité juridique, abus du pouvoir exécutif, discriminations injustifiées, absence d'indépendance du Parquet à l'égard du pouvoir exécutif, empiètement manifeste du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif, absence d'effectivité du contrôle constitutionnel.

Impossible de restaurer notre Etat de droit sans retrouver une véritable séparation des pouvoirs, telle qu'exigée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.  Son article 16 donne la meilleure définition qui soit de l'Etat de droit : "Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution".

 

Article in extenso:

Rarement la notion d’Etat de droit aura été autant invoquée qu’en cette période d’élection présidentielle. Ceux qui l’ont piétiné s’en revendiquent et prétendent que leur adversaire en est le fossoyeur, le qualifiant à bon compte d’extrémiste. Rien ne semblait prédestiner un concept si aride à un tel succès politico-médiatique. L’Etat de droit aurait pu rester dans le cénacle feutré des juristes savants. La question est centrale, voire vitale pour notre corps social. Le problème est qu’il s’agit d’un concept technique, abstrait et assez complexe à comprendre y compris pour les professionnels du droit ou de la politique. Pourtant, nombre d’entre eux le manient comme s’il coulait de source, entretenant plus ou moins consciemment la confusion dans l’esprit des citoyens afin de servir la cause qu’ils défendent. Dès lors, quelques mises au point s’imposent.

 

  1. Comment définir l’Etat de droit ?

 

Le concept d’Etat de droit désigne un Etat dans lequel le droit ne s’impose pas seulement aux gouvernés mais également aux gouvernants.

 

Le droit français n’en donne pas de définition officielle. L’expression est apparue sous la plume du juriste Léon Duguit en 1911. On la retrouve dans les textes européens à partir de 1992 avec le Traité de Maastricht. Le Conseil de l’Europe en 2016 et l’Union Européenne en 2021 ont dressé une liste de ses composantes fondamentales : séparation des pouvoirs, soumission permanente de toutes les autorités publiques aux lois et procédures établies, sécurité juridique, prévention de l'abus de pouvoir notamment de la part du pouvoir exécutif, égalité devant la loi et non-discrimination, accès effectif à des juridictions indépendantes et impartiales respectant pleinement les droits fondamentaux.

 

La réalisation de l’Etat de droit implique l’existence d’un texte de référence doté d’une certaine stabilité, la Constitution, et d’une instance qui en contrôle le respect. C’est le rôle de notre Conseil Constitutionnel. Elle nécessite l’existence de juridictions qui contrôlent les actions de la puissance publique (les juridictions administratives dans notre système).

 

Comme son nom l’indique, l’Etat de droit implique l’existence d’un Etat. Un Etat, c’est une population présente sur un territoire qui se dote d’une organisation politique. Cette organisation pose  la question de savoir qui détient le pouvoir d’une part et comment il l’exerce d’autre part. L’Etat de droit répond à la seconde interrogation.

 

 

 

  1. L’Etat de droit est-il le contraire de la démocratie ?

 

Non, l’Etat de droit n’est pas le contraire de la démocratie.

 

Les deux notions répondent à deux considérations distinctes, le détenteur du pouvoir pour la démocratie et les modalités d’exercice du pouvoir pour l’Etat de droit. Un Etat de droit  peut exister dans une théocratie, dans une monarchie constitutionnelle, ou dans une démocratie. Dans une démocratie, le respect du droit limite la toute puissance du peuple, en l’empêchant de se laisser aller à ses impulsions et en inscrivant ses décisions dans une certaine continuité.

La démocratie est rarement directe et implique le plus souvent une représentation donc une institutionnalisation. A l’inverse, la démocratie ne garantit pas l’Etat de droit car le peuple peut devenir lui-même tyrannique et ne respecter aucune règle préétablie.

 

  1. L’Etat de droit, est-ce le gouvernement des juges ?

 

Non, l’Etat de droit, n’est pas le gouvernement des juges.

 

Les rares détracteurs de l’Etat de droit lui reprochent le plus souvent de donner trop de pouvoir aux juges. En pratique, toute règle de droit est par nature générale et abstraite et, en cas de conflit, il faut des juges pour l’appliquer au cas particulier. Cela ne signifie pas pour autant que les juges disposent d’un pouvoir arbitraire et hégémonique.

 

Il faut d’ailleurs distinguer entre le juge constitutionnel et les autres types de juges. Il est vrai que le Conseil Constitutionnel n’est à son tour soumis à aucune instance supérieure. On pourrait donc considérer que son pouvoir l’emporte sur celui de l’exécutif ou du législatif. Pourtant, la docilité et la complaisance effarantes dont il a fait preuve notamment pour contrôler les lois sanitaires prouvent qu’il n’en est rien. La désignation politique de ses membres a réussi à le priver de toute indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Quant aux autres juges, ils sont tenus d’appliquer le droit sans le créer ni le modifier et sont contrôlés par plusieurs degrés de juridiction (première instance, appel, cassation).

 

  1. Quel est le contraire de l’Etat de droit ?

 

Le contraire de l’Etat de droit, c’est la tyrannie et la loi du plus fort.

 

L’Etat de droit n’est pas l’exact contraire de l’Etat de nature, qui correspond à l’absence de toute organisation sociale. Il peut exister des formes d’organisation sociale hors du droit (tribus par exemple).

 

 

  1. L’état d’exception est-il compatible avec l’Etat de droit ?

 

Cela dépend. Le fait que la suspension de la Constitution soit prévue par une loi ne suffit pas à garantir sa compatibilité avec l’Etat de droit.

 

L'état d'exception désigne des situations où le droit commun et les lois qui protègent les libertés publiques sont suspendus. Il s’agit principalement de l’état de siège et de l’état d’urgence. De l’avis de tous les juristes, relayé par différents textes internationaux, l’état d’exception ne peut être acceptable que s’il est justifié par des circonstances exceptionnelles et limité dans le temps et dans l’espace. Or, ces dernières années l’état d’exception s’est imposé comme une nouvelle normalité. L’état d’urgence terroriste (2015-2017) a laissé la place à l’état d’urgence sanitaire (depuis mars 2020).

 

L’état de siège est prévu par l’article 36 de la Constitution de la Vème République. Il n’y est pas défini mais avait été précisé dans ses modalités par la loi du 9 août 1849 sur l'état de siège, modifiée en 1878 comme permettant notamment, en cas de « péril imminent pour la sécurité intérieure ou extérieure », de suspendre les libertés et de transférer les pouvoirs aux autorités militaires. Ce dispositif n’a pas été mis en œuvre depuis 1945.

 

En revanche, l’état d’urgence pose un véritable problème pour l’Etat de droit. Il a été introduit par la loi du 3 avril 1955, adoptée dans le contexte de la guerre d’Algérie. Son champ d’application potentiel est très large et son critère de distinction flou. L’article 1 de la loi vise un « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. » L’article 2 donne compétence au Conseil des ministres, organe exécutif, non élu, pour le décréter. Il prévoit qu’au-delà de 12 jours, la prorogation ne peut être autorisée que par une loi. Ce régime qui permet une suspension drastique des libertés publiques (assignation à résidence, restriction des déplacements, interdictions des manifestations culturelles et religieuses, dissolution d’associations, perquisitions, contrôles…) donc de la Constitution, est donc prévu par une simple loi qui laisse l’initiative de son déclenchement à un Conseil des ministres non élu ! La hiérarchie des normes et la garantie contre les abus de pouvoir de l’exécutif sont totalement balayés.

 

 

  1. Vivons-nous actuellement dans un Etat de droit ?

 

Non, le régime actuel de la France ne peut se réclamer de l’Etat de droit. Il n’en possède plus que certains attributs formels.

 

L’Etat français présente les signes extérieurs de l’Etat de droit : une Constitution, un Conseil Constitutionnel, des organes distincts qui sont censés exercer les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, des juridictions administratives. Le contrôle de constitutionnalité est assez récent. Le Conseil Constitutionnel a été créé en 1958 (la Cour Suprême des Etats-Unis exerce un contrôle de constitutionnalité depuis 1803). La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 a été intégrée au bloc de constitutionnalité par une décision rendue en 1971. Il a fallu attendre 2008 pour que des lois déjà promulguées puissent être contrôlées. Mais l’apparence n’est pas conforme à la réalité. Le régime actuel d’état d’urgence, pudiquement requalifié de « régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire » en vigueur pour l’instant jusqu’au 31 juillet 2022, ne permet pas à la France de se prétendre un Etat de droit.

 

D’abord, il n’est pas prouvé que cet état d’urgence était nécessaire pour affronter l’épidémie de COVID-19. Rappelons que la première condition est que le déclenchement de l’état d’urgence corresponde à des circonstances exceptionnelles avérées. On peut être troublé par la réalité des chiffres, au-delà du matraquage massif et de la présentation politique qui en ont été faites. Selon l’INSEE, la surmortalité enregistrée en 2020 par rapport à 2019 a été de 55.000 décès. Selon les chiffres repris sur le site internet du Ministère de la Transition écologique, sur la même année, 48.000 décès prématurés auraient été liés à la pollution extérieure. Selon une étude publiée le 9 février 2021 par un collectif de chercheurs des Universités de Harvard, Cambridge et Birmingham, le chiffre serait en réalité de 97.242 décès prématurés par an dus à la pollution atmosphérique. Or, rappelons que dans une décision du 4 août 2021, le Conseil d’Etat a condamné l’Etat français à payer une astreinte historique de 10 millions d’euros pour ne pas avoir respecté son injonction de prendre des mesures pour réduire la pollution atmosphérique… Toujours en 2020, soit au plus fort de l’épidémie, 5700 lits d’hospitalisation complète ont été fermés sur le territoire national.  Souci et urgence sanitaire à géométrie variable donc. Il est d’autant plus choquant que la décision de déclencher l’état d’urgence sanitaire ait été prise de manière non démocratique et que les parlementaires se soient pliés à la volonté gouvernementale.

 

Ensuite, l’état d’urgence sanitaire imposé à la France depuis mars 2020 méconnaît toutes les exigences caractéristiques de l’Etat de droit posées par le Conseil de l’Europe et l’Union Européenne :

- La légalité : L’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose que «  Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. » Pourtant, qui a exercé son droit de ne pas se faire vacciner a été sanctionné (privation de déplacements, perte d’emploi, perte de liens familiaux et sociaux, perte d’accès aux soins …) et donc le plus souvent contraint de se faire vacciner contre son gré, c’est-à-dire, de faire quelque chose que la loi n’ordonnait pas.

- La sécurité juridique : Du jour au lendemain, des droits et libertés fondamentaux ont été retirés aux citoyens, avec l’aval des juridictions qui n’ont quasiment censuré aucune restriction.

- L’absence d’abus de pouvoir de l’exécutif : L’exécutif a pris des décisions concernant la santé publique via un conseil de défense sanitaire composé de personnes non élues, choisies discrétionnairement, au terme de délibérations classées Secret Défense. L’exécutif a délégué sans aucun contrôle des missions d’intérêt général à des cabinets de conseil privés, notamment la gestion de la logistique de la vaccination au cabinet américain McKinsey, impliqué dans des scandales sanitaires à répétition et lié par des conflits d’intérêts tant avec le Président Emmanuel Macron qu’avec l’industrie pharmaceutique. L’exécutif a interdit des manifestations légitimes de mécontentement populaire (convoi de la liberté) et a ordonné une répression violente.

-L’égalité devant la loi et la non-discrimination : Création d’une discrimination entre vaccinés et non-vaccinés malgré le fait que le pseudo vaccin n’empêche pas la contamination et ce malgré le caractère encore conditionnel de son autorisation de mise sur le marché et les données relatives à ses lourds et fréquents effets secondaires à disposition des pouvoirs publics.

-L’accès à des juridictions indépendantes et impartiales respectant pleinement les droits fondamentaux : La justice française est une des plus pauvres d’Europe. Selon le rapport n° 26 de la Commission Européenne pour l’efficacité de la justice, en 2018, le budget consacré à la justice par habitant en France de 69, 50 euros, contre 131,12 euros en Allemagne, ou 83,20 euros en Italie, soit au dessous de la moyenne européenne (71,56 euros). Certes, en 2021, ce budget a augmenté de 8%. Il semble pourtant qu’une part importante de cette augmentation ait été destinée à l’administration pénitentiaire. Des magistrats eux-mêmes ont dénoncé dans une récente tribune l’absence d’indépendance du Parquet National Financier vis-à-vis du pouvoir exécutif, laquelle est apparue de manière flagrante à l’occasion de l’affaire McKinsey.

-La séparation des pouvoirs : Le pouvoir exécutif empiète de manière flagrante sur le pouvoir législatif. Le Parlement a même accepté de voter l’état d’urgence permettant à l’exécutif de prendre sur une période extrêmement longue des mesures excessivement liberticides, sous l’œil complaisant de la quasi-totalité des juridictions judiciaires et administratives.

-Rajoutons l’effectivité du contrôle du respect de la Constitution par le Conseil Constitutionnel : dans sa décision du 21 janvier 2022, ce dernier a validé en quasi-totalité la décision d’instaurer un passe vaccinal, sans effectuer de véritable contrôle de nécessité et de proportionnalité de cette mesure éminemment restrictive de liberté.

 

Etrangement, peu de juristes se sont manifestés pour dénoncer cette catastrophique et évidente suffocation de l’Etat de droit. On a constaté davantage d’enthousiasme voire d’exaltation pour affirmer que le programme de Marine LE PEN mettrait gravement en péril l’Etat de droit.

 

  1. La proposition de Marine Le Pen de recourir au référendum sur le fondement de l’article 11 de la Constitution était-elle contraire à l’Etat de droit ?

 

Non. Il n’est pas honnête intellectuellement de soutenir péremptoirement que l’utilisation de l’article 11 de la Constitution pour organiser un référendum « pour stopper l’immigration, contrôler nos frontières, expulser les clandestins et délinquants étrangers, et appliquer la priorité nationale dans l’accès au logement et à l’emploi » serait formellement contraire à l’Etat de droit.

 

La vérité, c’est qu’il s’agit d’une querelle de juristes non résolue et que le texte même de l’article 11, pour tout professionnel du droit qui veut le lire avec honnêteté, peut tout à fait légitimer sa proposition.  L’article 11 permet en effet au Président, sur proposition du Gouvernement (ou sur proposition conjointe des deux assemblées) d’organiser un référendum pour adopter une loi relative à l’organisation des pouvoirs publics. Il a été utilisé en 1962 par le Général De Gaulle pour instaurer l’élection du Président de la République au suffrage universel. La Constitution de la Vème République elle-même a été adoptée par référendum.

 

Si on résume, ceux qui n’ont rien eu à redire quand notre Constitution a été suspendue par un simple décret, puis par une loi-godillot, accusent aujourd’hui d’autoritarisme ceux qui invoquent la Constitution pour interroger le peuple en se fondant sur la Constitution elle-même ! Le procédé semble pourtant bien plus démocratique et respectueux du texte constitutionnel. L’indignation est une fois de plus à géométrie variable. Le « droit pur », la technique juridique sont invoqués comme des arguments d’autorité non pour éclairer les citoyens mais pour les impressionner. La technicité du droit est utilisée pour masquer sa nature politique donc discutable.

 

Au-delà de la question de la procédure, se pose celle des principes. L’Etat de droit ne se résume en effet pas à des procédures et à un cadre purement formel. Il implique le respect de certaines valeurs d’ores et déjà inscrites dans notre bloc de constitutionnalité. La préférence nationale ou l’expulsion des délinquants sont-ils compatibles avec l’Etat de droit ? La question reste ouverte, et là encore discutable, donc politique.  

 

  1. L’Etat de droit est-il obsolète?

 

Non. Il n’y a pas de fatalité à la mort de l’Etat de droit.

 

Il ne peut exister sans séparation des pouvoirs et sans contre-pouvoirs. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article 16) en offre la plus belle définition :  «  Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. » Il nous suffit donc de revenir aux sources. Il n’est pas possible de restaurer un équilibre des pouvoirs sans un retour à la souveraineté populaire. Mais cette souveraineté doit être éclairée. Une opinion publique crédule fait le lit de la lâcheté institutionnelle et laisse la porte ouverte à toutes les dérives. L’Etat de Droit nécessite donc un sursaut de la conscience individuelle de chaque citoyen sans laquelle le peuple lui-même acclame les autocrates qui utilisent le droit pour les opprimer avec leur consentement. Les citoyens ont donc un rôle déterminant à jouer pour que l’Etat de droit puisse s’incarner et ne soit plus simplement un outil de communication et de domination à l’usage des politiques.

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